Le débat sur le Socialisme du XXIe Siècle ne fait que commencer

vendredi 10 avril 2009, par Gustavo Fernández Colón

J’appartiens à un petit groupe d’universitaires vénézuéliens qui étudie la signification des formes alternatives d’organisation générées par les communautés, afin de surmonter la crise économique et écologique contemporaine, dans le contexte de la transition politique en cours dans mon pays et, en général, en Amérique latine.

Dans cette perspective, je voudrais vous faire partager quelques appréciations sur le tournant à gauche de la politique latino-américaine au cours de la dernière décennie, précédé par de forts mouvements sociaux de protestation contre l’aggravation de l’inégalité et la pauvreté causée par les politiques néolibérales des années 90.
Depuis la première victoire électorale du président Chávez au Venezuela en 1998 jusqu’à la plus récente élection du président Mauricio Funes au Salvador le 15 mars dernier, les organisations politiques de gauche sont arrivées au pouvoir dans de nombreux pays, mais avec des orientations philosophiques, des programmes gouvernementaux et des contextes d’action très différents.
Cependant, au-delà des divergences, il est possible de reconnaître certains traits communs à tous les nouveaux gouvernements de la gauche latino-américaine. La première caractéristique est l’intensification du rôle de l’Etat afin de corriger les déséquilibres sociaux créés par le marché. En pratique, cela implique de souligner l’engagement pour la justice sociale, de renforcer le rôle de l’Etat dans l’éducation, la santé et la protection sociale, de promouvoir la souveraineté économique ainsi que la coopération et l’intégration entre les pays de la région et de surmonter notre subordination aux États-Unis.

Tout en reconnaissant le bien-fondé éthique et politique de cet effort, nous notons avec préoccupation que le problème de la durabilité écologique de nos stratégies de développement n’a pas encore été sérieusement envisagé par la plupart des dirigeants de la gauche au pouvoir. Des idées telles que le développement, le progrès et la croissance économique continuent de guider la conception et la mise en œuvre des politiques gouvernementales.
Il est juste de souligner qu’il y a eu certaines avancées conceptuelles en termes de durabilité écologique. Un exemple est la nouvelle Constitution de la République de l’Équateur, qui établit la reconnaissance de la nature ou Pacha Mama en tant que sujet de Droit. Un autre est la déclaration des dix commandements pour sauver la planète, l’humanité et la vie, promulgués par le président de la Bolivie Evo Morales. Mais, en pratique, l’action politique reste largement conditionnée par l’urgence de faire croître nos économies pour assurer une répartition plus juste de la richesse et pour relever les défis de la pauvreté et la misère de la grande majorité de notre population.
La crise actuelle du système capitaliste mondial, qui a fait perdre leur emploi et leur foyer à des milliers de citoyens des États-Unis et qui a déclenché les récentes protestations des travailleurs en France, a eu un fort impact aussi sur les économies d’Amérique latine en raison de la baisse des prix et des volumes d’exportation des matières premières. On ne sait pas combien de temps cela va durer ni l’étendue des dommages que pourrait causer cette récession dans le monde entier. Ce qui est certain, c’est qu’elle représente à la fois une opportunité et une menace pour les efforts visant à bâtir une économie non seulement équitable, mais aussi écologiquement durable.
La récession globale est une menace parce que le but de stimuler la croissance économique peut être perçu comme une réparation d’urgence pour tenter de contenir l’agitation sociale. Elle est également néfaste car elle peut servir pour justifier des projets de développement non durables dans le cadre de la promesse de créer plus d’emplois.
D’autre part, la crise économique peut devenir une chance si sa coïncidence avec l’aggravation des symptômes de destruction de l’écosphère, contribue à montrer que la logique capitaliste nous conduit non seulement vers une débâcle économique qui aggravera la pauvreté et les souffrances d’une grande partie de l’humanité, mais aussi vers une catastrophe écologique qui menace la survie même de notre espèce.
En conséquence, l’actuel processus d’approfondissement des contradictions sociales, économiques et environnementales du système capitaliste mondial pourrait déclencher une véritable métamorphose civilisationnelle si l’on peut traduire en action collective ce que Serge Latouche a appelé la « pédagogie de la catastrophe ».

Au Venezuela, comme dans beaucoup d’autres pays, la prise de conscience de la gravité de la crise écologique est encore très faible. Et bien que le gouvernement révolutionnaire dirigé par le Président Chávez ait fait des progrès significatifs sur la réduction de la pauvreté et la redistribution du revenu national sur la base de critères d’équité, la conception du socialisme du XXIe siècle défendue par notre gouvernement est fondamentalement liée, dans ses caractéristiques essentielles, au paradigme développementiste partagé par la gauche et la droite du XXe siècle.
Pour se donner une idée de l’orientation de la politique sociale de notre gouvernement, il est utile d’examiner le dernier rapport publié par la CEPALC ou Commission Economique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes. D’après cet organisme dépendant de l’ONU qui se charge de systématiser des statistiques sur la situation économique en Amérique latine, la pauvreté au Venezuela a diminué sensiblement, passant de 49,4% de la population en 1999 (l’année de l’arrivée de Chavez au pouvoir) à 30,2% en 2006, tandis que l’indigence ou l’extrême pauvreté est descendue de 21,7% à 9,9% pendant la même période.
Également, la mortalité infantile a diminué de près de 5% entre 2003 et 2007 et le chômage a baissé de 14% en 1999 à 6% en 2008 . Grâce à la mise en œuvre de nouvelles formes d’organisations communautaires comme des Assemblées des Voisins pour la gestion de l’eau, l’approvisionnement en eau potable a été étendu jusqu’à 92% de la population. Un réseau de distribution de denrées alimentaires subventionnées a été créé afin de servir 14 millions de personnes. Les services de santé ont été considérablement élargis grâce à l’ouverture de 4500 dispensaires qui offrent des soins gratuits. Le pays a été déclaré territoire libre d’analphabétisme par l’UNESCO en 2005 et la couverture du système national d’éducation, aussi gratuit jusqu’au niveau universitaire, à été augmenté d’une manière significative.

Mais la grande question pour la majorité des Vénézuéliens aujourd’hui est combien de temps les politiques d’inclusion sociale seront-elles durables au regard d’une récession mondiale qui a fait baisser fortement les prix de notre principale source de revenus : le pétrole.
C’est une préoccupation majeure pour les pauvres qui ont peur de perdre leurs avantages sociaux récemment acquis et aussi pour la nouvelle bureaucratie au pouvoir. Malheureusement, très peu de Vénézuéliens sont concernés aujourd’hui par la durabilité d’une économie basée sur l’exploitation des combustibles fossiles qui causent le réchauffement de la planète.
Un exemple inquiétant des limites écologiques du modèle de développement qui prévaut dans mon pays est le cas de notre système de production d’électricité. Près de 70% de l’électricité consommée au Venezuela provient de sources hydroélectriques. Et principalement des barrages érigés sur la rivière Caroni, dont le bassin est situé à l’extrémité nord de la forêt amazonienne en danger. 30% provient de centrales thermoélectriques alimentées au fuel-oil et au gaz.

Ces sources d’énergie sont devenues insuffisantes en raison de la croissance économique des dernières années et l’expansion des services publics pour répondre aux besoins des communautés précédemment exclues. Pour résoudre ce problème, on a commencé à développer les énergies renouvelables comme le solaire, l’éolien et la géothermie. Mais jusqu’à présent, elles sont considérées insuffisantes pour couvrir l’augmentation de la consommation, ce qui a conduit notre gouvernement à envisager la construction de centrales nucléaires avec l’assistance technique de la Russie et de la France.
Cet accord de coopération nucléaire signé par nos gouvernements a été rejeté par les éco-socialistes vénézuéliens et quelques amis français du groupe de la décroissance. Mais notre impact sur l’opinion publique et notre capacité de modifier l’orientation des politiques gouvernementales ont été très faibles.

Il existe de nombreux autres aspects de la transition politique vénézuélienne que nous n’avons pas le temps de voir ici. Je veux simplement faire remarquer que malgré l’énorme influence des vieux mythes de la croissance et du développement, le débat sur les caractéristiques du socialisme au XXIe siècle ne fait que commencer. Et à mon humble avis et celui de nombreux autres, la pensée de la décroissance a beaucoup à apporter à ce débat.
D’où ma gratitude et mon plaisir d’être ici parmi vous aujourd’hui et de parler d’une question aussi cruciale pour l’avenir non seulement de votre pays et du mien, mais de toute l’humanité.
Merci beaucoup.

Traduction Y.Hélène de la Fuente.