LA FIN DE LA CROISSANCE ?
’’Nous ne pourrons revenir en arrière et renouer avec une économie à forte croissance’’
mardi 28 avril 2009, par
Basé à Santa Rosa, en Californie, consultant auprès du Post Carbon Institute, Richard Heinberg, auteur d’ouvrages remarqués, est mondialement reconnu comme l’un des principaux spécialistes de la question du pic pétrolier. Il nous explique pourquoi la poursuite de la croissance relève selon lui d’une logique insoutenable.
Actu Environnement : Quels sont les principaux facteurs de déplétion des énergies fossiles ? Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que nous allons bientôt commencer à en manquer ?
Richard Heinberg : Tout d’abord, force est de constater qu’à cause de la récession, les prix du pétrole ont baissé, ce qui entraîne une baisse de la motivation des compagnies pétrolières à se lancer dans des investissements pour développer de nouveaux gisements. Du coup, durant ces six derniers mois, plus de cent milliards de dollars de nouveaux projets pétroliers ont été annulés. Ce qui signifie que, dans les cinq prochaines années, lorsqu’il y aura un regain de l’économie et un sursaut de la demande en pétrole, il y aura moins de pétrole sur le marché que si ces investissements avaient été réalisés. Autre constat : des pays qui importent du pétrole comme les Etats-Unis et la France dépendent des pays exportateurs. Or les pays exportateurs sont confrontés à une demande intérieure en hausse, qu’ils satisfont en priorité, avant de vendre le surplus sur le marché mondial. Par exemple, la demande domestique de pétrole de l’Arabie Saoudite augmente de 7% par an, soit une demande qui double quasiment tous les dix ans. Ce qui veut dire que la quantité de pétrole disponible sur le marché à l’export pourrait décliner très rapidement, alors même que la production décline elle-aussi graduellement. Ce phénomène se vérifie dans d’autres pays exportateurs de pétrole, le Mexique par exemple, qui a longtemps été un exportateur important vers les Etats-Unis. Désormais la production de pétrole du Mexique décline tandis que la demande intérieure augmente. A tel point que le Mexique est en passe de cesser d’exporter du pétrole dans les trois prochaines années. Ce qui veut dire que les Etats-Unis devront faire venir du pétrole d’ailleurs : du Venezuela ou de l’Arabie Saoudite, où le même phénomène est en train de se passer. La production de l’Arabie Saoudite décline en raison des restrictions à l’exportation fixées par l’OPEP afin de soutenir les prix, mais c’est un des rares pays qui n’est pas frappé d’un déclin de sa production en raison de la déplétion géologique. C’est du reste le principal producteur. Car la Russie commence à voir sa production décliner, le Nigéria aussi pour des raisons politiques. Le Brésil, en revanche, a fait de nouvelles découvertes de pétrole, l’Algérie voit sa production augmenter.
AE : Dans votre ouvrage Power Down [1]], vous analysez les implications de la raréfaction des ressources pétrolières. Quels en sont les enjeux ?
RH : L’enjeu, c’est que nous risquons d’être confrontés dans les toutes prochaines années à des prix très élevés des carburants et à la raréfaction des ressources fossiles - y compris du charbon, dont les réserves ont été largement surestimées. Certes, la récession complique les choses parce qu’elle a pour effet de réduire la demande en énergies fossiles et donne l’impression d’une abondance de pétrole. De même pour l’électricité, qui fait l’objet d’une moindre demande, en raison du ralentissement de l’activité économique, comme c’est le cas en Chine. Pour autant, dès que l’économie va repartir, la demande va augmenter et se heurter aux limites des ressources fossiles, ce qui pourrait projeter l’économie dans une spirale de récession encore plus vertigineuse. A la mi-2008, nous avons vu le prix du pétrole atteindre les 147 dollars le baril. Les gens ont cessé d’acheter des voitures, ils se sont mis à moins conduire, et l’industrie aérienne a beaucoup souffert. Dans notre système économique, tout le monde table sur une croissance continue. Or la croissance implique la hausse de la consommation d’énergie. Du coup, lorsque les prix de l’énergie ont augmenté de manière si dramatique, cela a eu pour effet que les investissements drainés par des actions en bourse jusque là en hausse se sont soudain effondrés comme un château de cartes.
AE : Dans Power Down, vous affirmez que la poursuite de la croissance relève d’une logique insoutenable. Que voulez-vous dire par « power down » ?
RH : Power down renvoie à la nécessité de réduire délibérément la consommation d’énergie. Or ce n’est pas ce qui s’est passé, car la chute de la consommation n’a pas résulté d’un processus délibéré. Ironiquement, ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est au déclin substantiel des émissions de gaz à effet de serre, et ceci s’explique non pas parce que tous les pays du monde se sont mis autour d’une table et se sont mis d’accord sur un Protocole, mais simplement parce que l’économie s’effondre. Cela aurait été bien mieux de planifier cette réduction, si nous avions été capables de réduire notre consommation d’énergies fossiles sans y être acculés par une crise économique. Mais cela n’a pas été le cas. Malheureusement, la situation risque d’empirer. Je ne pense pas qu’il y ait une solution à la crise économique. Nous allons assister au ralentissement de l’activité économique dans les prochaines années, et ce ralentissement sera tel qu’en aucune manière nous ne pourrons revenir en arrière et renouer avec une économie à forte croissance. Mais ce que nous pouvons faire en revanche, c’est réformer notre économie de manière à ce qu’elle puisse fonctionner avec beaucoup moins d’activité, ce qui implique d’accorder plus d’attention aux services d’intérêt général - éducation, santé, culture…, et de mettre moins l’accent sur la consommation, la production industrielle et toutes les choses que nous considérons d’habitude comme des facteurs de croissance économique.
AE : Cela signifierait un autre type de croissance ?
RH : C’est exact. Et cela impliquerait aussi un système financier complètement différent, parce que pour le moment, celui-ci dépend totalement de la croissance. Même la monnaie devrait être réformée. A moins que la monnaie injectée dans le système continue à être en expansion, il arrive un moment où il n’y a plus assez d’argent en circulation pour rembourser les prêts et les intérêts. C’est à ce moment là que les failles apparaissent, et c’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Il nous faut donc un système monétaire qui ne soit pas basé sur la dette.
AE : Cela voudrait dire, par exemple, de baser cette monnaie sur les ressources naturelles ?
RH : Oui, ce serait une bonne idée. Mais si cette création monétaire est soumise à des taux d’intérêt, elle reste dans un système qui exige une croissance continue. Donc, il faudrait créer des monnaies à des échelles régionales, qui pourraient être adossées aux ressources naturelles, à l’énergie par exemple. Une carte de crédit carbone individuelle serait une possibilité. Certains économistes, comme Herman Daly et Bernard Liétard, qui a contribué à inventer l’euro, en ont fait la proposition.
AE : Quel est votre sentiment sur la politique de Barack Obama en matière d’environnement et d’emplois « verts » ?
RH : Il fait beaucoup de choses positives. Pour autant, je n’ai pas relevé de signes qui traduiraient une réelle prise de conscience de sa part des défis entraînés par le pic pétrolier (Pick oil). Et donc, malheureusement, sa politique économique et énergétique ne peut qu’échouer, à moins qu’il mette l’accent sur la conservation de l’énergie et le développement des énergies renouvelables. Tout en étant bien conscient qu’on ne pourra pas développer les énergies renouvelables à une échelle et à une vitesse suffisantes pour remplacer les énergies fossiles, à mesure que celles-ci décroîtront. Donc le plus important est de trouver le moyen de vivre avec moins d’énergie. Et cela va avoir des implications sur le secteur des transports, sur notre système alimentaire, sur nos modes d’habitat, et cela a déjà des conséquences sur notre système économique, comme nous pouvons le constater.
AE : Que pensez-vous du projet du président Obama d’instaurer un marché de permis d’émission de CO2 en 2012 ?
RH : Je pense que c’est très problématique. Cela pourrait marcher, mais dans des conditions très spécifiques. Des conditions qui supposent que la demande et la production d’énergies fossiles soient prévisibles. Or aujourd’hui même, la demande, tout comme l’offre de ces énergies est imprévisible. Du coup, le prix du carbone sur le marché va être extrêmement volatile et les effets escomptés par les concepteurs de ce marché carbone n’auront pas lieu.
AE : Alors, quelle politique suggérez-vous ?
RH : Nous devrions rationner les carburants. Les citoyens devraient se voir attribuer une quantité déterminée de pétrole, qui réduirait d’année en année. Certes le mot « rationnement » est tabou et rappelle la deuxième guerre mondiale. Mais je pense que nous entrons dans une période de crise d’une échelle comparable à celle de la deuxième guerre mondiale. Donc nous devons songer à nous rationner afin de conserver l’énergie pour des besoins de base. Pour le moment, le rationnement se fait par les prix. Si les prix quintuplent aux Etats-Unis, seuls les riches pourront continuer à conduire des automobiles. Or, ce n’est pas la manière la plus juste d’allouer des ressources en voie de raréfaction.
Propos recueillis par Agnès SINAÏ
Voir en ligne : Actu-environnement
[1] Powerdown : Options and Actions for a Post-Carbon World, New society Publishers, 2004.