Autour d’ENTROPIA N°7

Le laboratoire des objecteurs de croissance - Le Monde

mercredi 17 février 2010

Un spectre hante l’Occident : celui de l’effondrement. Du 11-Septembre à l’actuelle implosion de la bulle spéculative, l’ombre portée des Twin Towers effondrées ne cesse d’imprégner nos mentalités collectives. Du crash au krach, tout serait donc en voie d’effondrement : la banquise comme la social-démocratie, la Banque Mondiale comme l’autorité parentale... Notre début de siècle semble s’apparenter au portrait dressé pas le bio-géographe américain Jared Diamont qui, dans Effondrement (Gallimard, 2006), compare notre situations à celle des habitants de l’ile de Pâques, disparus après avoir détruit leur environnement, à force de vouloir ériger leurs mystérieuses statues.

Il n’est donc pas étonnant que les "objecteurs de croissance" se soient penchés sur la question. Car la religion du progrès a conduit les économies mondiales droit dans le mur, constatent les partisans de la critique radicale du développement -durable ou non- réunis autour du septième numéro de la revue Entropia, publication semestrielle fondée en 2006.

Le député Vert Yves Cochet y explique que la crise des subprimes de l’été 2007, comme celle des « émeutes de la faim » du printemps 2008, sont des conséquences de la hausse des produits pétroliers. Car, d’un coté, l’explosion du cours du baril a empêché les ménages américains de rembourser leurs emprunts, et de l’autre, ruiné les états dépendant de cette matière première à cause du productivisme de leur industrie agroalimentaire. Il y a donc une corrélation entre crise économique et dépression écologique, explique le juriste Simon Charbonneau. D’où l’urgence de la décroissance, poursuit l’universitaire Serge Latouche, qui ironise : « Si la croissance engendrait mécaniquement le bien-être, nous devrions vivre aujourd’hui dans un vrai paradis. » Or, le pire est à venir, prévient-il, puisque les rapports internationaux annoncent de sombres scénarios : pénurie globale des ressources non renouvelables en 2030, pic de la pollution en 2040, crise alimentaire en 2070...

Mais comment décroitre ? En se défaisant des « sortilèges de l’argent », assure l’économiste Bernard Guibert. De la « permaculture » (production agricole économe en énergie) aux « villes lentes » (agglomérations à base consommation), des « initiatives de transition » s’inventent. Ainsi le polytechnicien Christian Araud relate l"expérience de la petite ville anglaise de Totnes (Devon) qui, dès 2005, a amorcé sa conversion vers une « économie soutenable », notamment grâce à une Bourse d’échange de surplus ou une monnaie du cru qui a revitalisé le commerce local.

Si la décroissance lui apparaît comme l’horizon indépassable de notre temps, Entropia souhaite cependant « ne pas confondre la conviction avec la certitude », indique Jean-Claude Besson-Girard, directeur de la publication. Ainsi a-t-elle invité à dialoguer l’économiste Jean-Marie Harribey, qui maintient l’idée d’un développement qualitatif afin de « démarchandiser nos sociétés ». La revue est consciente du risque que ferait également peser sur son projet une rhétorique de l’excès. Au point que Vincent Cheynet, rédacteur en chef du mensuel La Décroissance, rappelle que « les discours sur la fin du monde peuvent être pénibles et contre-productifs ».

Alors, décroissance ou barbarie ? Lorsqu’elle n’érige pas la nature en valeur, la décroissance peut se présenter comme un beau pari. Mais les objecteurs de croissance savent que le chemin de la « déplétion » est encore long. Et qu’aux yeux de nombre de leurs contemporains, l’adage de Montaigne semble pour le moment encore plus sage : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. »

Auteur : Nicolas Truong
Date de publication : Le Monde du 14/02/2010