Hors champ - Point de vue sur la révolution bolivarienne

dimanche 8 janvier 2012, par Claude LLENA, Y. Hélène de la FUENTE

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre [1]. »
Jacques CHIRAC, Johannesburg
le 2 septembre 2002

Le discours des hommes politiques peut parfois présenter un autre visage que les décisions qui impulsent leurs politiques économiques et sociales. Comment peut-on se dire en éveil sur l’état de la planète et en même temps cautionner le libéralisme ? Il y a là une contradiction majeure mise en avant dans les années soixante-dix par René Dumont l’un des précurseurs, en France, de l’écologie politique [2].

En effet, nous pouvons percevoir un ensemble d’incohérences entre le discours politique et les décisions imposées par nos élus. Il semblerait qu’un nombre important de promesses non tenues meublent la relation entre le peuple et ses représentants. Alexis de Tocqueville parlait même de trahison entre les élus et leurs peuples [3]. Le quatrième Forum mondial sur le développement durable à Paris du 6 au 8 décembre 2006 ne fait que confirmer le souci de débattre sans prendre la décision qui s’impose : en finir avec le capitalisme, remettre fondamentalement en question un système prédateur de l’équilibre écologique et social de la planète.

Il faut dire que les dysfonctionnements écologiques et sociaux sont tels que de nombreuses voix s’élèvent pour mettre en débat les fondements des sociétés occidentales. Le modèle de développement des pays industrialisés est fondé sur la croissance de leur économie, autrement dit l’augmentation de leur production de biens et de services. Ce modèle privilégie des critères principalement quantitatifs pour l’évaluation des richesses nationales. Dans le sillage des pays développés, les pays en développement et les pays émergents visent eux aussi une croissance économique maximale.

Cependant, d’autres formes de richesse [4], non prises en compte par les indicateurs économiques officiels tels que le PIB, existent, au nombre desquelles il faut citer le « bien-être » et la diversité culturelle, qui relèvent notamment du domaine du relationnel, de la convivialité, et d’une logique privilégiant les liens humains par rapport aux biens matériels. La prise en considération de ces richesses invite à prôner une décroissance conviviale [5], suggérant qu’une autre organisation économique et sociale est possible, et même nécessaire au vu de la dégradation des écosystèmes et des équilibres sociaux. En effet, « on ne peut continuer à consommer de manière infinie dans un monde fini », comme le souligne Albert Jacquard [6]. À titre d’exemple, si l’ensemble de la population mondiale adoptait le mode de vie étasunien, ce n’est pas une, mais sept planètes qui seraient nécessaires pour satisfaire ses besoins de consommation [7].

Or, pour retisser le lien entre les électeurs et leurs représentants, certains élus se réclament du peuple et semblent écouter « le vent d’en bas [8] ». En quoi est-ce le cas de Hugo Chávez au Venezuela ?

Dans ce pays, Chávez forge un nouveau destin pour son peuple, mais si ceci est flagrant dans ses discours, ses idées débouchent-elles sur des politiques concrètes [9] ? En d’autres termes, comment se bâtit la pensée bolivarienne [10] ? En quoi peut-elle avoir des liens avec le mouvement de la décroissance ?

Le discours de Chávez se façonne au contact direct du peuple vénézuélien. La révolution s’identifie au message de Bolivar : « Si ma mort contribue à ce que cessent les partis et que se consolide l’union, alors je pourrai mourir tranquillement [11] ». Pour réduire l’influence des partis politiques d’opposition et des groupes intermédiaires tout en facilitant la démocratie participative, le pouvoir chaviste privilégie le contact direct avec le peuple. Par exemple, afin de contrecarrer la puissance des médias d’opposition, Chávez organise des rencontres médiatico-interactives rituelles tous les dimanches. L’émission Aló Presidente [12] est l’occasion de développer la pensée populaire. Nombreux sont ceux à qui elle inspire une ligne politique. C’est une sorte de conseil participatif, qui donne souffle à la démocratie directe et « protagonique » vénézuélienne [13]. Le peuple prend contact avec son président qui répond et donne une dimension politique, collective, à une demande qui pourrait n’apparaître qu’individuelle.

Le pouvoir reçoit ainsi des « coups de fouet [14] » de la réalité mise en avant par les interlocuteurs, à charge pour le gouvernement de trouver des solutions pratiques aux questions posées. Il faut dire que la révolution est entrée dans une phase de démocratie participative, qui fait que de nombreuses décisions reviennent aux conseils communaux et ne se prennent pas au niveau gouvernemental. Chávez appelle cela « l’autogouvernement » : « Vous scandez le slogan : Hu ! Ha ! Chávez no se va ! Mais je partirai bien un jour et il restera les conseils communaux, et l’auto-gouvernement. Je ne suis là que pour rendre tout le pouvoir au peuple [15] ». Le discours de Chávez ne peut pas dans ces conditions de démocratie vivante, échapper au contrôle populaire.

Par ailleurs, depuis le 27 avril 2006 (date de la création des conseils locaux de planification publique [16]), la révolution a nettement choisi d’impulser une forme directe de gouvernement du peuple par le peuple. Dans les faits, nous sommes face à une démocratie revivifiée. Pas d’experts, pas de représentants au travers de groupes intermédiaires si classiques dans les démocraties représentatives, mais une organisation politique qui se construit au fil des sollicitations populaires : « Chávez transforme ses propos inflexibles en actes. Mais ce qui rend le gouvernement nord-américain et les maîtres des multinationales réellement fous est qu’il a les moyens de le faire [17]. »

Les Occidentaux perçoivent souvent ces pratiques comme populistes. En fait, Chávez ne se contente pas de redistribuer la manne pétrolière, il impulse une autre politique capable de créer une société vénézuélienne nouvelle, centrée sur l’auto-organisation, tout en redonnant dignité à la politique. La révolution bolivarienne a comme objectif principal de « semer le pétrole [18] » et de changer les pratiques des hommes : « Pour nous cela est difficile, car nous sommes contaminés par les réflexes hérités de la société capitaliste, mais nos enfants élevés dans une autre conception doivent en finir avec l’égoïsme et l’individualisme [19]. »

Le viol de l’imaginaire [20] imposé par les médias et la pression symbolique de l’Occident façonné autour du fétichisme de la marchandise entraîne un renoncement culturel. Seules les marchandises importées sont valorisées, au détriment de la production nationale. Seule une politique ambitieuse et sous contrôle populaire est capable de renverser les phénomènes d’acculturation en jeu. Grâce aux réformes économiques et politiques imposées par la révolution bolivarienne [21], le discours de Chávez est sous contrôle populaire, il ne peut donc s’éloigner de ses propositions. Il se rend otage de son propre discours pour mieux s’assurer de son application sur le plan social et sur le plan économique.

Ainsi convient-il selon lui de transformer le modèle économique vénézuélien en un système indépendant, solidaire, intégré au continent sud américain. Pour ce faire, il a porté avec Cuba le projet de l’ALBA [22]. L’ALBA est une proposition d’intégration différente proposée au Sommet des Amériques [23]. L’ALBA, en s’opposant à l’ALCA [24], met l’accent sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et, par conséquent, exprime les intérêts des peuples latino-américains. Le traité se fonde sur la création de mécanismes de coopération entre les nations, qui permettent de compenser les asymétries existantes entre les pays de l’hémisphère. Il n’a pas vocation à être seulement un traité commercial, mais à mettre l’homme et l’environnement au centre des accords entre les pays.

Quelles sont les voies théoriques explorées par le pouvoir bolivarien ?
René Dumont avait déjà prévenu que le capitalisme n’était pas négociable [25]. Il faut trouver une autre voie pour bâtir une société écologique et équitable puisque le capitalisme est contraire aux intérêts des pays du Sud, de l’homme et de la planète.

Chávez pose en termes écologiques l’urgence à sortir du modèle libéral. Pour lui, il n’y a pas de social-libéralisme : « Katrina a été un douloureux exemple des conséquences pour l’Homme de l’ignorance de ces réalités […] Il est pratiquement et éthiquement inadmissible de sacrifier l’espèce humaine au nom du maintien démentiel d’un modèle socio-économique aux capacités destructives sans cesse croissantes. Il est suicidaire d’étendre et d’imposer ce modèle comme un remède infaillible aux maux dont il est, précisément, la principale cause [26]. »

Il n’est plus question de gérer le capitalisme et ses dysfonctionnements ; il faut définitivement s’en démarquer. Il affirme : « Il y a une troisième voie ? Mensonge, mensonge, le chemin, le seul chemin, c’est le socialisme [27] ». Il tourne ainsi le dos au social-libéralisme, il est sans équivoque lorsqu’il affirme : « J’ai été à un moment tenté par la troisième voie de Tony Blair et Antony Giddens [28], mais maintenant j’ai compris que non. Ce système est sans issue, il a ruiné la société comme il détruira la planète. Notre planète peut disparaître et nous pourrions revenir à une ère où vivront d’autres espèces mais nous, l’espèce humaine, nous pourrions disparaître [29]. »

Aujourd’hui, la révolution bolivarienne cherche un nouveau modèle qu’elle appelle socialisme du XXIe siècle parce qu’elle est en mal de référence théorique. Par ailleurs, elle se revendique aussi du socialisme utopique, ou socialisme des tropiques, socialisme chrétien [30] et humaniste ou altermondialiste… Cette diversité d’appellations montre à quel point le substrat théorique est multiple et la révolution se cherche en se faisant.

Le terreau de ce changement se nourrit de la pensée de Simón Rodriguez [31] et de Simón Bolivar. Il se concrétise autour de trois points :
• Sensibilité aux questions écologiques et sociales. Il reste évident qu’un grand nombre de besoins de base ne sont pas satisfaits au Venezuela. Lorsque Chávez prend le pouvoir en 1998, 62,5 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté [32]. Il accepte donc le principe de croissance pour sortir de l’état de dépendance centré sur la satisfaction des besoins de base [33]. La croissance se met alors au service du peuple et non au service du capital. Il affirme : « […] le but de la réunion des hommes en société est de satisfaire les besoins [34]. » Par ailleurs, il convient de faire reculer la pression de l’offre pour ne pas rentrer dans une dépendance commerciale. Il complète en précisant : « […] supprimer la production du luxe pour satisfaire les besoins… Le capitalisme produit pour exploiter la majorité en enrichissant une minorité [35] ». Par ailleurs, ce socialisme en construction est inéluctable : « le socialisme ou la mort… ». Mais il ajoute : « […] mort de la planète [36]. » Il ne peut se concevoir en dehors d’une approche écologique, car sans transformation du système productif, il ne peut y avoir de survie sur cette planète : « Maintenant, le capitaliste se moque bien du gaspillage, son truc c’est gagner de l’argent [37]. » Lors de l’émission Aló Presidente du 29 janvier 2006, il affirmait : « […] bon, nous luttons pour un monde différent, pour une alternative à la destruction capitaliste qui détruit notre planète et, nous n’exagérons rien quand nous disons que cette planète pourra être détruite, c’est-à-dire que la vie sur cette planète peut disparaître [38]. » La sensibilité de la Révolution bolivarienne aux questions écologiques [39] est ici mise en avant. Ce nouveau système de régulation à mettre en place impose une remise en question fondamentale de toute organisation économique centrée sur le profit. Il convient d’en changer au plus vite car la menace écologique et sociale pèse sur toute l’humanité.
• « Inventamos o erramos [40] », autrement dit, nous inventons ou nous échouons. C’est l’ouverture du champ des possibles. L’imagination revient au pouvoir par l’intermédiaire des propositions du peuple. L’ensemble de ces idées s’inscrit dans un objectif d’indépendance par rapport au monde occidental, à l’impérialisme américain et à tous les colonialismes économiques et politiques. Hugo Chávez dira en 2005 devant l’ONU : « Ces transformations, auxquelles nous faisons référence au Venezuela, doivent être menées, selon nous, en deux temps : dans l’immédiat et dans celui des rêves et de l’utopie. Le premier est marqué par les accords dérivés du vieux schéma, nous ne le rejetons pas, nous apportons y compris des propositions concrètes à court terme à l’intérieur de ce modèle. Mais le rêve de la paix mondiale, le rêve d’un monde débarrassé de la honte de la faim, de la maladie, de l’analphabétisme et l’extrême misère a besoin – en plus de racines – d’ailes qui lui permettent de s’envoler. Nous avons besoin d’ailes pour voler, nous savons qu’il y a une terrible globalisation néo-libérale, mais il existe également la réalité d’un monde interconnecté que nous devons affronter non comme un problème, mais comme un défi. Nous pouvons, sur la base des réalités nationales, échanger nos connaissances, les compléter, intégrer des marchés. Mais, il nous faut en même temps comprendre qu’il y a des problèmes qui n’ont plus de solution nationale : un nuage radioactif, les prix mondiaux, les pandémies, le réchauffement climatique, le trou dans la couche d’ozone ne sont pas des problèmes nationaux [41] ».
• Recherche d’identité et valorisation de la culture des peuples premiers. Chávez affirme : « Tu es indien Gouverneur, il est indien, nous sommes indiens, indiens et noirs [42]… » Ainsi, l’identité individuelle et collective du peuple vénézuélien ressort renforcée. Son présent et son futur sont réappropriés. Les civilisations d’origine sont solidaires, car les normes importées du capitalisme entraînent des phénomènes d’acculturation qui mettent en marge l’identité du peuple vénézuélien. Il met en avant le degré de civilisation des peuples premiers qui tend à être marginalisé du fait de la colonisation des esprits par le fétichisme de la marchandise. Il convient de retrouver son identité pour s’assurer de sa dignité. Cette dernière se cultive par la dynamique du don [43] : « Une partie de la production doit servir pour les échanges à l’intérieur de la communauté, les biens doivent être donnés. Le don, sans rien demander en échange. Tu ne demandes pas de dignité, tu es digne : Territoire indien, territoire socialiste [44]. »

La révolution bolivarienne s’appuie donc sur une approche pragmatique permettant de développer une praxis syncrétique. Elle refuse de se laisser enfermer dans des dogmes qui paralyseraient la créativité du peuple. Cette dernière reste centrale. Pas de modèle importé, mais un syncrétisme idéologique centré sur les particularismes culturels du peuple vénézuélien dans toute sa diversité ethnique.

Chávez serait-il le premier président sensible aux questions de l’après-développement ?

Pour chercher à donner une réponse à cette question, nous allons analyser quelques pratiques de la révolution bolivarienne.

Par exemple, comment relocaliser l’économie vénézuélienne et ralentir son insertion dans la division internationale du travail ?

À ce niveau, Chávez renvoie à un développement autocentré sur les besoins de la population en respectant la culture des hommes et l’état des ressources : « Avant tout, la production pour le marché national pour satisfaire les besoins internes du pays. Exporter n’est pas la priorité pour notre pays [45]. »

Le pétrole « excrément du diable [46] » est alors une arme à double tranchant qui a desservi le pays pendant des années puisqu’il a attiré les capitaux internationaux et les corrupteurs. Cependant, il est temps de l’utiliser comme une manne à redistribuer. En novembre 2001, sont promulguées les lois habilitantes [47], 49 lois dont l’objectif principal est la démocratisation de la propriété et de la production. Quatre d’entre elles furent le détonateur du coup d’État du 11 avril 2002.

Le président Chávez évoque le seul modèle possible, celui du socialisme du XXIe siècle. L’histoire nous dit que la tâche est pour le moins ardue. Les missions productives [48] et sociales [49] sont des alternatives que la révolution bolivarienne propose pour dépasser l’exclusion sociale dont souffre le pays. Dans la démarche bolivarienne, il s’agit d’évoluer vers une nouvelle civilisation. Par exemple : la nouvelle production sociale qui se met en place, basée sur la constitution [50], impose de satisfaire équitablement les besoins humains. Ce socialisme du XXIe siècle comprend des relations d’un autre type avec l’environnement, en intégrant un autre mode de développement. Les résultats des activités de cette société d’un nouveau type doivent avoir un rôle dans la solution des problèmes globaux et locaux.

Paradoxes de la Révolution Bolivarienne [51] et conclusion
La situation reste donc encore très délicate et l’instabilité semble permanente. Comment, en effet, imposer un autre paradigme lorsque l’on a contre soi :
• Les médias qui participent de la colonisation des imaginaires sur le modèle occidental
• Le capital et les puissances étrangères internationales
• Une administration, héritée de l’ancien régime, ou « IV república », hésitant entre des pratiques de corruption éhontées et un sabotage permanent dans la mise en place du processus révolutionnaire.

Il faut dire que Chávez est dérangeant. Il serait à la fois le président le plus populaire du continent sud-américain et le plus haï de l’oligarchie financière [52]. Malgré tout, il compte à son actif neuf élections victorieuses [53] et parvient à mettre en place les bases d’une autre société grâce à son charisme et sa légitimité démocratique [54]. Mais, un homme seul pourra-t-il infléchir la tendance quand, au sein de son entourage, se déroule une bataille avec les productivistes [55] ? En attendant, grâce à ses convictions, il empêche le développement du pouvoir de l’oligarchie qui cherche à poursuivre la croissance, seule garantie de pérennisation de leur rente de situation. Par ailleurs, les chavistes altermondialistes veulent approfondir la révolution et sont finalement, avec le président, des résistants de l’intérieur. Il existe donc un réel débat au sein du mouvement révolutionnaire entre ceux qui se réfèrent à la croissance comme seule issue aux difficultés du peuple et ceux qui veulent impulser un autre développement. En Europe, le mouvement de la décroissance peut donc apporter une réflexion, une conceptualisation nécessaires à la construction d’une alternative post-développementiste. Nous devons donc construire des synergies afin de renforcer nos pratiques mutuelles. Pour cela, il s’avère nécessaire d’apprendre à mieux connaître la complexité de la société vénézuélienne. Il faut être prêts à remettre en question nos représentations, notre schéma d’interprétation pour percevoir les changements profonds qui sont en train d’émerger au Venezuela. On ne peut réellement les évaluer à partir de nos critères d’organisation : « On ne peut pas dire que Chávez ne fasse rien socialement : il encourage un “tiers secteur” coopératif, et finance des missions sanitaires et d’enseignement dans les bidonvilles. Mais j’ai un peu l’impression que cette politique remplace le déploiement de vrais services publics d’éducation et de santé. L’avantage, c’est que s’expérimente réellement une culture de production de ces services à partir de la base [56]. »

Cette « impression » d’Alain Lipietz est, dans ses termes mêmes – « Vrais services publics » – révélatrice de cette cécité qui nous affecte lorsque l’on observe avec des références occidentales des sociétés aussi complexes que celle du Venezuela. En effet, les statistiques officielles de l’année 2005 indiquent qu’il y a eu 23 760 000 personnes soignées dans la mission de santé « Barrio Adentro ». Les habitants du Venezuela ont accès aux diagnostics médicaux, aux médicaments et aux soins, le tout sans rien débourser et sans formalités administratives, grâce aux programmes « Barrio Adentro I, II, III ». Faisons-nous mieux aujourd’hui en Europe ? Et si la forme n’est pas la même, le résultat est à l’évidence nettement en faveur du peuple vénézuélien.

La révolution bolivarienne agit donc dans le sens du bien commun, mais la décroissance a-t-elle sa place dans la pensée révolutionnaire au Venezuela ?

Hugo Rafael Chávez Frías est aujourd’hui le seul leader mondial capable d’entendre et de porter les solutions économiques et sociales préconisées par le mouvement de la décroissance. Il est le seul à pouvoir insuffler les idées de la décroissance par sa parole revitalisante, qui s’inscrit dans la pratique quotidienne de la révolution, car ses inquiétudes sociales et écologiques sont intimement liées.

En tout cas, on peut constater que la révolution bolivarienne est à l’écoute des théories venues d’ailleurs. Elle a entendu « Vía Campesina » et José Bové sur la question des sans-terre ou des OGM. Chávez a suivi Ignacio Ramonet quand ce dernier lui a fait connaître les penseurs de l’altermondialisme. Il a l’humilité de ceux qui n’ont pas de pensée dogmatique. Il écoute. Ainsi, le socialisme du XXIe siècle qu’il est venu défendre à Londres – et ce n’est pas un hasard – en mai 2005 [57], comporte en lui-même les germes de la pensée de la décroissance par toutes ces influences qu’il revendique. Il est donc nécessaire de créer des liens entre nous et de déterminer de quelle façon l’on pourrait agir ensemble. Le Venezuela est, aujourd’hui, un laboratoire qui pourrait être le terreau d’un nouveau paradigme. Il est urgent de ne pas attendre et de ne pas rester sourds à ce formidable espoir né dans les « Barrios de Caracas ».

« caminante, no hay camino,
se hace camino al andar »

« Marcheur, il n’y a pas de chemin,
Le chemin se construit en marchant »

Hugo Chávez, citant Antonio MACHADO [58]


[1Ce sont les 2 premières phrases du discours de Jacques Chirac prononcées à Johannesburg le 2 septembre 2002 devant l’assemblée plénière du Sommet mondial
du développement durable.

[2René Dumont, L’Utopie ou la mort, Seuil, Paris, 1974.

[3Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Gallimard, Paris, 1980.

[4Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, Ed. de l’Aube, La Tour d’Aigues,
2003.

[5Ouvrage collectif, Objectif décroissance. Vers une société harmonieuse, Parangon, Lyon, 2003.

[6Albert Jacquard, Voici le temps d’un monde fini, Le Seuil, Pairs, 1991.

[7Source : http://www.wwf.fr

[8Sous commandant Marcos, Le Monde Diplomatique de février 2006

[9Edgardo Lander, Le Venezuela à la recherche d’un projet contre-hégémonique. Site Internet du CADTM 19 octobre 2004. Source :
http://www.cadtm.org/article.php3?id_article = 831

[10Marta Harnecker, Hugo Chávez Frías, un hombre un pueblo, Cubasiglo XXI,
10 septembre 2002.
Source : http://www.nodo50.org/cubasigloXXI/politica/harnecker24_310802.pdf

[11« Ultima proclama » ou dernière proclamation prononcée par Simón Bolívar
Hacienda de San Pedro, à Santa Marta en Colombie le 10 décembre 1830. Voir :
http://www.analitica.com/bitBlioteca/bolivar/ultima.asp

[12« Aló Presidente » est une émission de télévision sur VTV ou VIVE TV chaînes
nationales qui a lieu le dimanche à 12 heures et qui dure 5 à 6 heures. Voir site
Internet : http://streaming.impsat.net.ve/vtv

[13Sur les médias alternatifs Thierry Deronne Vicepresidencia de Producción Televisión Publica VIVE. Voir sites Internet : www.vive.gov.ve et
http://www.oulala.net/Portail/article.php3?id_article = 2438

[14Aló Presidente n° 253 du 23 avril 2006. Chávez citant Trotsky : « La révolution a besoin
des coups de fouets de la contre-révolution » http://www.alopresidente.gob.ve/docs.php

[15Aló Presidente n° 255 du 21 mai 2006

[16« Ley de los Consejos Locales de Planificación Pública ». Première assemblée 06/12/2001. Loi votée le 07/04/2006 :
http://www.asambleanacional.gov.ve/ns2/leyes.asp?id=338

[17Ted Rall – Zmag, Venezuela : Le danger du succès de la révolution d’Hugo Chavez. Voir le site Internet : http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article
= 3571

[18Arturo Uslar Pietri, Revue Ahora du 14 juillet 1936.

[19Aló Presidente n° 253 du 23 avril 06 http://www.alopresidente.gob.ve/docs.php

[20Aminata Traoré, Le Viol de l’imaginaire, Fayard, Paris, 2002.

[21Il est, en revanche, intéressant de noter que cette reprise de l’économie vénézuélienne
se fait dans un contexte particulier, celui de l’instauration en février 2003 d’un
contrôle des changes destiné à endiguer les fuites de capitaux estimées à l’époque à
1 milliard de dollars par mois pour des réserves de change de 12 milliards. La Banque
centrale vénézuélienne a ainsi, depuis cette époque, la responsabilité de la totalité des
changes avec l’extérieur avec un taux fixe qui est aujourd’hui stable à 2150 Bs pour
1 $ et des réserves de change de 30 milliards de dollars. Contrairement à ce qu’affirment
les libéraux de tous poils, ce régime de parité fixe et de contrôle des changes
n’a aucunement été préjudiciable aux échanges commerciaux : une augmentation en
volume de 40 % des importations en 2005 en est la confirmation la plus éclatante.
Cette reprise de l’économie a permis d’affecter 5,5 milliards d’euros à des programmes
sociaux, renforcés par la participation notable de médecins cubains.
Petroleos De Venezuela ou PDVSA (dont la direction a été remaniée) a constitué un fonds de 85 millions d’euros pour financer des coopératives qui privilégient « les valeurs de solidarité, d’équité et de développement social de la communauté par rapport à celles de rentabilité ou de profit ». Des expériences intéressantes à suivre,
notamment dans leurs implications écologiques. Cette réalité vénézuélienne contredit tous les poncifs néolibéraux : loin de provoquer un isolement et une paupérisation du pays, le contrôle des changes a permis à un gouvernement régulièrement élu par ses citoyens de mettre en place une politique macro-économique de développement social. Constitutionnaliser la liberté de circulation des capitaux revient à interdire à une démocratie de recourir au contrôle ou à une fiscalité des changes (Taxe sur les changes de type « Tobin »). Cela a pour implication pratique de soumettre aux diktats des marchés financiers tout gouvernement désireux de développer une politique sociale ou écologique : les détenteurs préféreront toujours transférer en masse les capitaux vers des cieux plus prospères. Cela nous ramène à la signification de la monnaie : une créance sur une économie, sur une collectivité. Au nom de quel principe démocratique devrait-on autoriser à tout moment ses détenteurs de brader cette
créance aux plus offrants ? N’est-il pas temps de réhabiliter ce projet d’International Clearing Union que Keynes voulait mettre en place au sortir de la guerre en lieu et place du FMI, dans laquelle la monnaie ne pouvait être détenue que par des résidents et dans laquelle les parités entre monnaie reflétaient des balances commerciales équilibrées. L’exemple vénézuélien nous en montre l’actualité.

[22ALBA ou Alternative Bolivarienne pour l’Amérique latine et les Caraïbes voir site Internet : http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article = 2882

[23IV « Cumbre de las Americas » ou Sommet des Amériques des 4-5 novembre 2005 http://www.summit-americas.org/NextSummit-esp.htm

[24ALCA : Acuerdo de libre comercio de las Américas imposé par l’administration américaine.

[25René Dumont, op. cit.

[27Aló Presidente n° 228 du 10 juillet 2005 http://www.alopresidente.gob.ve/docs.php

[28Isaac Bigio, Chavez à Londres, http://www.rebelion.
org/noticia.php ?id=31622. Chávez a démontré qu’il est résolu à prendre un rôle politique important au plan international. Si auparavant Blair avait essayé de le capter, lui et d’autres leaders du monde, pour son projet de « Troisième voie » dans laquelle se combinaient des aspects de la voie économique de Margaret
Thatcher et des éléments sociaux. C’est maintenant lui qui tente de capter la gauche travailliste pour qu’elle accepte sa vision d’un socialisme du XXIe siècle.

[29Aló Presidente n° 228 du 10 juillet 2005 http://www.alopresidente.gob.ve/docs.php

[30Même si Chávez est en lutte avec les institutions religieuses, il vit sa foi de manière révolutionnaire, dans un pays fortement marqué culturellement par la religion catholique.

[31Simón Rodriguez, Sociedades americanas, El Mercurio, 1842. Le « bolivarisme » ne constitue pas un corpus théorique. Il est symbolisé par « L’arbre aux trois racines » et incarné par la figure du « Libertador » (Simon Bolivar) et par deux autres figures emblématiques : Ezequiel Zamora et Simón Rodriguez. Ezequiel Zamora porte les luttes des noirs mulâtres et des Indiens, populations discriminées
socialement par l’Etat postcolonial dirigé par les blancs et les Créoles. L’éducateur Simon Rodriguez, maître du « Libertador » est le symbole de la recherche scientifique, et de l’éducation. Source : Alberto Müller Rojas, Epoca de Revolución en Venezuela, Solar Editores, Caracas, 2001.

[32José Luis Fernández, Sociólogo UCAB,
Source : http://www.pnud.org.ve/email/Contenidos/boletin_02/ArticuloJLFPobreza.pdf

[33Voir le texte d’Albert Jacquard Boulimose et gaschose, in La Décroissance, le journal
de la joie de vivre
n° 29.

[34Aló Presidente n° 237, 23 octobre 2005 http://www.alopresidente.gob.ve/docs.php

[35Aló Presidente n° 242, 18 décembre 2005 http://www.alopresidente.gob.ve/docs.php

[36Chávez, août 2005, procès du capitalisme, festival mondial de la jeunesse

[37Aló Presidente n° 246, 5 février 2006 http://www.alopresidente.gob.ve/docs.php

[38Aló Presidente n° 246, 5 février 2006 http://www.alopresidente.gob.ve/docs.php

[39« La Huella Ecológica y Los Movimientos Sociales » ou L’empreinte écologique et les mouvements sociaux. Sobre El Debate Hacia El Socialismo Del Siglo XXI, Miguel
Angel Nuñez. http://www.inmotionmagazine.com/global/man_huella. html

[40Simon Rodriguez, Sociedades americanas, El Mercurio, 1842.

[41Discours à l’ONU, 15/09 2005. http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=2678

[42Aló Presidente n° 242, 18 décembre 2005 http://www.alopresidente.gob.ve/docs.php.
Constitution de la République Bolivarienne du Venezuela Articles 119, 120, 121, 122 et 123. Voir site : http://cbparis.free.fr/constitution.html

[43José Martí, Amor con amor se paga. Edition digitale à partir de la 2e ed. de Obras Completas, Vol. 18, La Habana, Instituto Cubano del Libro, 1963-1965, ou voir site : http://www.cuba.cu/memorial/amorcon.htm

[44Aló Presidente n° 242, 18 décembre 2005. Théorie développée par Celso Furtado, En busca de un nuevo modelo, Fondo de cultura económica. 2003.

[45Aló Presidente n° 242, 18 décembre 2005. http://www.alopresidente.gob.ve/docs.php

[46PDVSA : Petroleos De Venezuela SA.

[47Les plus importantes de ces lois ont été : La loi des terres, qui octroie à l’État le pouvoir de prendre les terres privées et de les redistribuer. Cette redistribution inclut les propriétés de plus de 5 000 hectares, considérées improductives et permet également de décider de l’usage de la terre agricole pour obtenir une révolution
agraire qui garantisse l’alimentation de tout le peuple vénézuélien. La loi de pêche, qui agrandit la zone de mer territoriale de 3 à 6 milles marins, où la pêche au chalut favorise une pêche artisanale et un équilibre marin écologique. La loi des hydrocarbures, qui en finit avec les 20 années de libéralisation et privatisation dans le secteur pétrolier. Dans le futur, l’état détiendra la majorité dans tous les accords pour les futures exploitations et augmentera les redevances aux compagnies étrangères de 16 à 30 % pour consacrer plus de moyens aux programmes sociaux. La loi de microfinancement, qui permet le renforcement d’un secteur de l’économie sociale et représente un soutien à l’activité de Banmujer et sa contribution à l’incorporation des femmes au marché du travail au travers des micro-entreprises. Evidemment, toute cette activité stimule la participation du peuple vénézuélien et lui donne confiance pour faire face à la droite qui s’agite et essaie par tous les moyens de contenir, de faire reculer le processus révolutionnaire. Ces lois ont déclenché le coup d’Etat médiatico-politique qui a renversé le président Chávez
pendant 3 jours (du 11 au 13 avril 2002).

[48Coopératives ouvrières. Exemple Invepal (entreprise de pâte à papier).

[49Misiones Barrio Adentro, Robinson, Rivas, Sucre, Mercal, Vuelvan Caras, Piar,
Guaicaipuro, Negra Hipolita http://www.mci.gob.ve/imagnot/Las %
20Misiones % 20Bolivarianas % 20en % 20Frances % 202.pdf

[50Article 112 : Constitution République Bolivarienne 1999. Voir site : http://cbparis.free.fr/constitution.htm

[51Maurice Lemoine, Chávez Presidente, Flammarion, Paris, 2005.

[52Mariana Hernández, Socialismo de baja intensidad. Voir site Internet : http://espanol.
geocities.com/mariana_hzz/socialismo. htm

[536

[54Gregory Wilpert, Venezuela : démocratie participative ou gouvernement comme un autre ? Source : http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article = 2791

[55Caracas : le FSM écartelé. Lundi 30 janvier 2006. Voir blog d’Alain Lipietz :
http://lipietz.net/breve.php3?id_breve=122

[56Voir site : http://www.mci.gob.ve/imagnot/Mision% 20Barrio%20Adentro.pdf

[57Issac Bigio, « Chavez en Londres ». Source :
http://www.rebelion.org/noticia.php?id=31622

[58XXIX Proverbios y cantares, Campos de Castilla, 1917.
http://www.mcxapc.org/static.php?file=florilege.htm & menuID = florilège