Relocalisation et Pandémie
vendredi 12 juin 2020, par
La pandémie du covid 19 interpelle doublement le local. D’abord de façon immédiate, du fait des mesures de confinement prises un peu partout pour limiter son expansion. A plus long terme ensuite, en mettant en évidence les dangers de certaines délocalisations inconsidérées et en suscitant la volonté de limiter la mondialisation, au point que certains ont cru voir dans les évènements un contexte favorable à la réalisation du projet de la décroissance. Toutefois, le premier effet risque d’être éphémère et le second limité, du fait, en particulier, que certaines dynamiques de l’économie globale ont toutes chances de sortir renforcées de la crise, à moins d’un sursaut des consciences qu’il faut impérativement encourager.
L’épidémie du coronavirus a amené sur toute la planète les autorités à prendre des mesures de confinement plus ou moins strictes et plus ou moins généralisées. Ces mesures ont entrainé un repli sur l’espace de proximité tant pour la survie quotidienne que pour leur mise en œuvre administrative. D’une part, du fait de la défaillance des chaines transnationales, il a souvent fallu trouver des solutions locales pour les approvisionnements alimentaires et mêmes pour certains produits sanitaires (masques ou gel hydroacloolique). L’intérêt des circuits courts (AMAP en particulier) et du maintien de commerces de proximité, sans parler des solutions autonomes individuelles (jardins potagers) s’en est trouvé renforcé, tandis que la solidarité de voisinage et la créativité populaire ont permis souvent de « tenir le coup ». Nombreuses expériences locales ont ainsi fait dans ce contexte la preuve de leur résilience, tandis que s’effondraient des pans entiers de l’économie mondialisée. D’autre part, outre le retour des frontières et de la réaffirmation des souverainetés nationales, la gestion sanitaire du confinement et du déconfinement, devant se faire au plus près du terrain, les autorités locales, ont été fortement sollicitées. C’est le cas en particulier, en France, des maires tant méprisés par les autorités centrales dans la première moitié du quinquennat du président Macron.
D’une façon plus générale, la crise sanitaire a révélé l’extraordinaire fragilité de la société mondialisée. Les pénuries de produits pharmaceutiques, pour la plupart importés de Chine ont montré en particulier de façon spectaculaire l’imprudence de délocalisations pilotées par la seule logique économique. L’interconnexion et l’interdépendance des hommes et des nations ont entraîné une perte problématique d’autonomie, celle-ci ayant été sacrifiée à la spécialisation excessive sous l’effet du libre-échange érigé en dogme.
Les Etats Européens, prétendant tirer la leçon de cette défaillance, se déclarent aujourd’hui favorables à un relatif rapatriement des productions sensibles. Il est donc à prévoir quelques changements ; des modifications des règles du fonctionnement monétaire de l’Europe sont déjà bien engagées, mais avant tout pour favoriser le redémarrage de l’économie et retrouver le chemin mythique de la croissance ; une certaine relocalisation des activités stratégiques pour la survie comme les entreprises pharmaceutiques est annoncée. Toutefois les interventions étatiques ad hoc dérogeant aux principes sacro-saints de la compétitivité et du libre-échange, et nécessitant une dose plus ou moins forte de protectionnisme intelligent, ne sont pas vraiment programmées.
Malheureusement, pour deux secteurs cruciaux, l’énergie et le numérique, la pandémie n’a pas mis en évidence la fragilité de l’économie mondialisée. En ce qui concerne le premier secteur, l’effondrement du cours du prix du pétrole, à l’opposé des prévisions des collapsologues, tout en décourageant le développement des énergies renouvelables, ne manquera pas de faciliter la relance de l’économie y compris celle concernant les secteurs les plus nocifs du point de vue écologique comme l’aéronautique et l’automobile. Rien n’ayant été prévu pour la reconversion de ces activités, alors que c’était l’occasion de donner un contenu concret à la transition écologique qu’on prétend mettre en œuvre, on risque donc de voir repartir plus fort qu’avant le tourisme de masse et les transports de marchandises. Quant au numérique, dont les entreprises-clefs transnationales, symbolisées par l’acronyme GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), n’ont pas connu la récession, ce sont assurément les grands bénéficiaires de la crise. Leurs parts de marché se sont considérablement accrues, au détriment de l’économie réelle, qu’il s’agisse des librairies face à Amazon ou des commerces de proximité et des marchés locaux au profit des ventes en ligne de la grande distribution (tel Walmart), du télétravail, des consultations médicales par internet, etc. Tout cela au détriment du local.
Un sursaut nécessaire
Une fois l’alerte passée, on risque de revenir comme après la crise économique et financière de 2008 au business as usual, et de rester toujours dans la logique de compétitivité et de concurrence. Il est donc peu probable que la pandémie suffise à vaincre l’inertie d’un système qui combine les intérêts des puissants et la complicité passive de ses victimes, sans un puissant mouvement de la base. L’embryon d’un tel mouvement en faveur d’une démondialisation/relocalisation existe incontestablement ; les initiatives locales alternatives de toutes natures émergent de façon récurrente, mais elles auraient besoin d’être protégées du « renard libre dans le libre poulailler » selon la définition indépassable de la concurrence sauvage donnée au XIXème siècle par l’ami de Marx, August Bebel. Un plan ambitieux de reconversion à moyen terme, en particulier de l’agriculture productiviste, du secteur du tourisme, de l’automobile, de l’aéronautique, de l’énergie, dans l’esprit d’une véritable transition écologique devrait renforcer les dynamiques locales. En outre, celles-ci ne peuvent réussir sans une décolonisation de l’imaginaire de croissance que le mouvement de la décroissance tente de promouvoir et que la relocalisation enclenchant un cercle vertueux favorisera en retour. Sans cela, les aspirations légitimes à la démondialisation souhaitée risquent d’être instrumentalisées par les entrepreneurs du national-populisme à la Trump, Orban et cie qui se tiennent en embuscade.
Militer pour sortir de la guerre de tous contre tous et de tous contre la nature que sont la concurrence transnationale et le libre échange débridé, dans l’optique du projet écosocialiste de la décroissance restent donc plus nécessaire que jamais.